Jean Forton

 

J'imagine un Prince d'une vaste fortune et d'une âme élevée, et qui, non point par vanité mais par dévotion, ferait bâtir un palais, une forteresse somptueuse, à la fois rutilante comme une châsse et mieux défendue qu'une prison : nul n'y pourrait pénétrer, hormis quelques très rares privilégiés. Là, derrière ces murs infranchissables, tout au fond d'un couloir coupé de chausse-trapes et de portes à secret, se trouverait une manière de tabernacle, une niche doucement éclairée. Et dans ce sanctuaire, notre homme plein de dévotion aurait déposé non point quelque relique, non point quelque royale couronne, mais un trésor pour lui infiniment plus précieux un émail de Mirande.  
Chaque jour le Prince viendrait, seul ou accompagné d'un ami cher entre tous, s'émerveiller devant tant de ferveur exprimée si humblement, devant tant d'orgueil aussi, de cet orgueil terrible de l'artiste véritable qui se sait créature de Dieu et se veut haute prière, chant d'amour. Alors ces rouges semblables au sang du Christ, ces bleus qu'il faut bien dire célestes et certains verts légers comme l'aube du monde lui rappelleraient que l'oeuvre d'art, quand elle est grande, n'a rien d'un divertissement, qu'elle n'est pas jeu aimable de connaisseur, amuse-l'oeil pour amateur raffiné, mais qu'elle demeure cet ardent sanglot dont parle Baudelaire, cet unique, ce seul témoignage de notre dignité.  

-1980-


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