C'était
en 1957, plus de quarante ans déjà ! Se présentait à mon
bureau un jeune garçon timide, à l'aspect fragile,
mais au regard lumineux et direct. Encouragé par son ami
Claude-Henri Rocquet avec qui il partageait un commun amour de
la poésie et à qui j'avais donné,quelques
années plus tôt, l'occasion de débuter dans
le journalisme, Raymond Mirande venait me présenter quelques
uns de ses poèmes soigneusement calligraphiés, l'un
d'eux - il m'en souvient - entouré de ces arabesques chères à Cocteau.
Longuement, nous avons bavardé, parlé de poésie,
comparé Verlaine, Mallarmé, Rimbaud et Eluard. Je
lui disais mon admiration pour Apollinaire, il me fit connaître
le philosophe Lanza del Vasto et la virtuosité verbale de
Norge. Nous avons évoqué la Grèce qu'il avait
récemment découverte, cette terre
dont, au delà de ses contrastes, il ressentait la fascination
des mythes éternels.
Et
puis, il me confia ses espérances : publier ses poèmes,
présenter au public ses premiers émaux, un art découvert
trois ans auparavant et auquel il s'était
initié à Limoges dans l'attente d'un four propre à matérialiser
les sujets qu'il portait en lui.
Deux années après notre rencontre dans ce bureau un
instant illuminé par l'enthousiasme de la jeunesse, un jury
de poètes parmi lesquels Alain Bosquet, Follain, Rousselot,
Edmond Humeau lui attribua le prix" Découverte-Poésie " pour
son recueil l'"Apparence et le feu " - déjà le
feu ! - tandis qu'une galerie du cours de Verdun présentait
ses premiers émaux, fruits de cette victoire précisément
acquise sur le feu. J'en fis, le premier, la critique. Naquirent,
alors, malgré la différence d'âge, une amitié et
une réciproque affection jamais démenties.
Saison après saison, j'ai suivi les progrès de celui
que jean Cayrol avait baptisé "le sorcier de l'émail" et
compté parmi ses parrains quand vint le temps d'entrer à l'Académie
des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux, compagnie qu'il
présidera avec douce et ferme courtoisie deux cent soixante-huit
ans après Montesquieu...
Grâce à l'appui
de ses parents qui permettront, dans le jardin de leur propriété de
Gradignan, l'installation d'un four d'où sortiront ces précieux émaux
riches de couleurs, de formes et de symboles, avec l'amoureux soutien
de Nicole qui restera intimement liée à l'oeuvre
de son mari, cet artisan du feu a réalisé son rêve
de jeunesse. Un rêve prolongé par une autre découverte,
ouverture vers de nouveaux horizons, celle de l'art du vitrail
qui, selon son expression, "parcourt l'insondable poésie
de l'univers ", poésie faite de contrastes et de lumière
quand, au travers du verre, se glisse le soleil.
Là encore,
Raymond Mirande a tout à la fois retrouvé la tradition
médiévale et su se projeter dans la modernité,
jouant avec les formes et les couleurs. Chaque fois s'est révélée
sa nature profonde de poète authentique, créateur
d'émotion et de beauté, artiste salué comme
tel par la critique, cette critique à laquelle il s'essaya,
encore une fois avec bonheur, durant les dix huit années
durant lesquelles je lui fis confiance pour tenir la chronique
artistique de " La vie de Bordeaux".
Raymond Mirande disparu, nous reste son message si bien traduit par
l'un de ses plus fervents admirateurs, François Mauriac,
quand, parlant de son oeuvre qu'il associait à celle de
Rouault, il y trouvait " la lumière de ce Royaume
de Dieu qui est au dedans de nous ".
Et, aujourd'hui, nombreux sommes nous à regretter non seulement
l'ami disparu, mais aussi tout ce que l'artiste aurait pu, longtemps
encore, nous offrir, ces émaux, ces vitraux, ces poèmes
dont nous sommes maintenant à tout jamais privés...
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